Un rituel sans images … réactions

Un enterrement est, je pense de l'avis de tous, un merveilleux, dans l'adieu qui est dit au proche, mais aussi un sale moment à passer, tant la douleur semble être à son paroxysme, partagée avec les autres. Et puis qui voudrait se faire photographier le nez mouillé, les yeux rouges et le regard triste ? L'ambivalence de nos sentiments sur cette cérémonie se révèle dans notre réaction face à celui ou celle qui photographie. À la fois sacrée, c'est aussi un des rites qui rythment la vie et dont on se souvient. Et c'est également synonyme de mort, ce que l'on cherche à repousser de toutes nos forces dans notre société contemporaine axée sur le bien-être, la jeunesse et l'apparence que l'on retrouve dans nos albums-photo. Pour beaucoup, photographier signifie magnifier, reporter la beauté d'un instant, et peu sont à même d'en trouver dans un enterrement qu'on s'imagine gris, triste et pluvieux

Ne pas pouvoir photographier au moment d'un enterrement c'est quand même propre à la France et cela touche tout autant les milieux athées que religieux. J'ai photographié ma mère sur son lit de mort, la cérémonie à l'église et au cimetière. Les gens présents étaient gênés et me lançaient des regards noirs… Pourtant je n'ai pas moins pris part à ce moment que les autres. Dès que l'on sort de France c'est beaucoup plus simple. Dans les pays de tradition orthodoxe cela ne pose pas de problème, il m'est arrivé que des familles me demandent de les photographier autour du cercueil. Jacques

Pour avoir réalisé un reportage sur l'enterrement d'un architecte à la demande d'un de ses proches, j'ai pu constater la difficulté à supporter les regards des participants. M'ayant identifié comme un " étranger " et étant majoritairement issus de milieux artistiques, donc ayant une forte pratique de la mise en scène de soi, ils finirent par m'oublier Dans l'enterrement il y a un lâcher prise de son visage, de son rang (" on est tous égaux devant la mort ", certes, mais après l'enterrement la vie reprend et faudrait pas trop laisser de trace de cet abandon). Paradoxalement les films qui mettent en scène des enterrements montrent souvent un ballet des comédiens (!) très réussi, la comédie humaine, tandis que dans un vrai enterrement, on est gauche, on ne sait pas où se mettre ou quoi dire à part " toutes mes condoléances ", etc. Pewek

En ce qui me concerne, je n'aurais sans doute pas partagé ces photos, mais je regrette de ne pas avoir osé photographier les enterrements auxquels j'ai assistés, comme un dernier souvenir social du défunt. Cependant, au-delà de cette remarque personnelle, j'ai le sentiment qu'en 50 ans ces rituels ont beaucoup évolués et je regrette que cette évolution ne puisse être perçue qu'au travers des films de fiction. Thierry

Je n'ai réussi qu'à faire des photos volées, pas vraiment assumées, mais j'étais constamment partagé entre deux pulsions. La photo est une pratique profane, donc… et il reste des rares moments ou semble-t-il spontanément, la communauté retrouve le sens du sacré. C'est de cet ordre, c'est violent, et même si je suis particulièrement transgressif, ça m'a brassé. Je m'en suis sorti en me répétant mentalement qu'il était photographe aussi… que je l'ai toujours vu avec un appareil. Alain

Lors de l'enterrement de mon père, ses proches pas plus que moi n'avions le cœur à prendre des photos souvenirs. Pendant la cérémonie, c'est un membre plus éloigné de la famille qui s'est livré à cette activité, fort de son statut reconnu de photographe amateur. Aujourd'hui, je suis bien content d'avoir ces images. André

En Espagne, photographier pendant les enterrements est une pratique courante qui semble indiquer un rapport à la mort et au défunt différent. D'ailleurs il me semble que la fréquentation des cimetières est une " activité " plus joyeuse en Espagne qu'en France… Alexie

 

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